« Les statues dans l’espace public, d’hier à aujourd’hui », par les étudiantes du master 2 Histoire, Civilisations, Patrimoine, parcours Sciences pour l’Histoire de l’Art, université de Franche-Comté (décembre 2022)

Au vu des récents événements autour de la statue de Victor Hugo par Ousmane Sow qui ont suscité des débats, en qualité d’étudiantes en Histoire de l’art et archéologie, il nous paraît important de traiter ce sujet d’un point de vue scientifique, en rappelant le contexte de l’installation des statues dans l’espace public. Comme nous l’a rappelé Colette Morel, ATER en art contemporain à l’université de Franche-Comté, la malheureuse non-polémique bisontine s’insère dans une réflexion plus large sur la valeur symbolique de la statuaire publique[1].

Places et usages des statues hier et aujourd’hui

Dans le monde grec, on pouvait voir des statues partout[2] : dans les sanctuaires, sur les places publiques, dans les nécropoles, au bord des voies de communication. Aujourd’hui, dans nos villes, les statues – qu’on ne voit même plus à force de passer devant elles – représentent des grandes figures de la littérature, des hommes politiques et des militaires, des inventeurs, des bienfaiteurs, mais aussi quelques femmes…Les statues permettent d’honorer la mémoire de ces « grands hommes[3] », de rappeler l’importance de leur œuvre et leur implication dans la société. Comme aujourd’hui, dans l’Antiquité, les statues dans l’espace public honoraient la mémoire des dirigeants (stratèges, souverains), des athlètes vainqueurs aux jeux olympiques, des orateurs, des auteurs du théâtre, etc. Au Moyen Âge et durant les temps Modernes, on voyait principalement des Saints, des effigies du roi et de son entourage, et des ecclésiastiques.

Les matériaux, les dégradations et l’entretien des statues

En Grèce antique, les statues étaient réalisées en matériaux divers, qui venaient parfois de loin : calcaire, marbre et bronze principalement. Les statues en pierre recevaient un traitement de surface : polychromie, dorure ; une couche protectrice que les Grecs appelaient la ganôsis recouvrait les statues en marbre comme en bronze[4]. Les statues étaient disposées dans des bâtiments (temples, portiques, lieux de réunion ou écrins architecturaux destinés à mettre en valeur les statues et à les protéger) ou en plein air ; l’épiderme et la surface des statues subissaient les effets des pollutions atmosphériques (soleil, gel, pluies) et du passage des gens qui, parfois, comme nous l’apprennent les textes, touchaient les statues. Comme aujourd’hui, il était donc nécessaire de les entretenir. Les textes évoquent l’entretien de la surface, la réfection de la couche protectrice qui faisait briller les statues, les réparations des parties manquantes, endommagées ou volées[5], enfin la réfection de la dorure et des couleurs.

La réfection du Victor Hugo d’Ousmane Sow

À la manière des Grecs, les municipalités engagent des démarches de restauration des œuvres visibles au sein de la ville. Le 17 octobre 2003, à l’occasion de la Journée du refus de la misère, le Victor Hugo d’Ousmane Sow a été installé place des Droits de l’Homme à Besançon. D’abord réalisée en toile de jute par le sculpteur sénégalais, puis coulée en bronze par la fonderie de Coubertin, la statue représente Victor Hugo vêtu d’un costume et tenant dans sa main gauche une montre de gousset (H. : 2,30 m). L’originale en toile de jute était initialement destinée à être présentée durant deux jours à Paris en octobre 2002, à l’occasion de la Journée internationale du refus de la misère. En rédigeant cet article, nous avons eu la surprise de découvrir que cette présentation n’avait pas pu avoir lieu, comme on l’apprend sur le site officiel du sculpteur[6], citant un article du Nouvel Observateur du 30 octobre 2002.

Après presque vingt ans d’exposition en plein air, la patine et les couleurs ont disparu ; c’est la raison pour laquelle la Ville de Besançon a décidé de la faire restaurer. Pour cela, elle a fait appel à la fonderie de Coubertin soit le même établissement qui connait parfaitement bien cette sculpture, puisque c’est dans ses ateliers que la fonte avait été réalisée en 2003.

Le restaurateur Carlos Alves Fereira, spécialiste des œuvres d’Ousmane Sow, a expliqué son travail au micro de Stéphanie Bourgeot, journaliste France 3-régions : « Mon but est de se rapprocher au maximum de ce que voulait l’artiste. Donc on ajoute des pigments, on chauffe, on enlève, on remet, ce n’est pas une science exacte… Je suis là pour faire mon travail et être fidèle à l’auteur[7]. »

Dans l’idée de respecter au plus près les intentions de l’artiste, le bronze est donc patiné et mis en couleur. Ces traitements de surface, comme ceux de toutes les statues de l’espace public, vont de nouveau être exposées aux dégradations du temps qui passe. Patines et couleurs s’estomperont naturellement et, avec elles, les débats.

Eva Calegary et Jade Jesbac, avec Sophie Montel[8]


[1] Sur ce sujet, on écoutera avec profit un épisode des Pieds sur terre intitulé « Décolonisation : les statues meurent aussi » : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/decolonisation-les-statues-meurent-aussi-3552266 (01/12/2021).

[2] Une bonne introduction à cette omniprésence de la statuaire dans le monde grec : Hölscher Tonio, La Vie des images grecques. Sociétés de statues, rôles des artistes et notions esthétiques dans l’art grec ancien, Paris, Hazan, musée du Louvre, 2015.

[3] Sur cette notion, on consultera avec profit Agulhon Maurice, « La statue de grand homme. Critique politique et critique esthétique », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2003/1 (n° 21), p. 9-19. DOI : 10.3917/mnc.021.0009 et Chevillot Catherine et Chastel Laurent (dir.), À nos grands hommes (CD-ROM), Coédition musée d’Orsay/INHA, 2004.

[4] Jockey Philippe, « Praxitèle et Nicias. Le débat sur la polychromie de la statuaire antique », dans Pasquier Alain, Martinez Jean-Luc (éds), Praxitèle, Paris, 2007, p. 62-81.

[5] Les sources épigraphiques et littéraires évoquent la punition des auteurs de ces actes de malveillance.

[6] http://www.ousmanesow.com [consulté le 25/11/2022]. Voir en particulier le récit sur la page : http://actus.ousmanesow.com/?p=47

[7] https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/il-y-a-un-adn-africain-dans-victor-hugo-fait-par-le-sculpteur-ousmane-sow-l-art-reprend-sa-place-apres-la-polemique-sur-la-statue-de-besancon-2660448.html

[8] Cet article a été imaginé en relation avec l’actualité, dans le cadre du cours de master 2 Places et rôles des images en Grèce ancienne (S. Montel, MCF histoire de l’art et archéologie des mondes anciens, UFR SLHS, université de Franche-Comté). Nous espérons que notre modeste contribution permettra à tous les lecteurs de prendre conscience de la violence d’une telle action qui cherche à « blanchir » une statue.